Historique
UNION DE PRIERE
RETRAITE DE 1969
RETOUR HISTORIQUE SUR LES ORIGINES DE L’UNION DE PRIERE
par les pasteurs Henri SCHAERER et René de RICHEMOND
Dimanche 24 août 1969 au Temple de Charmes
I.- EXPOSE DE M. SCHAERER
Pourquoi ce retour en arrière ? A-t-il sa raison d’être au début de cette Retraite ? Ne sommes-nous pas plutôt rassemblés pour l’étude et la prière en commun en vue du Retour de Notre SEIGNEUR JESUS-CHRIST et de l’Avènement de son Royaume éternel ? Ne nous faudrait-il pas, à l’instar de l’apôtre PAUL, oublier ce qui est en arrière, nous porter vers ce qui est en avant et courir vers le but ? ... (Phil. 3/13). On peut, légitimement, se le demander. J’estime néanmoins qu’un coup d’œil rétrospectif sur les origines de l’Union de prière n’est pas inopportun, pas inutile, alors que nous allons avoir a nous occuper ces jours prochains de la structure même de notre communauté et de son insertion dans l’Eglise et dans le monde.
Je viens d’employer la terme « communauté », mot dont on abuse maintenant, qu’on utilise à tort et à travers ; par lequel on désigne n’importe quelle association de personnes, alors qu’il s’agit -je cite Larousse- « d’une société religieuse soumise à une règle commune, tels les ordres religieux catholiques, ou les associations de diaconesses. » En quoi l’Union de prière est-elle réellement une communauté, et non un simple groupement de chrétiens qui se réunissent une fois par année pour étudier la Parole de DIEU et prier ensemble ? En quoi cette Retraite annuelle diffère-t-elle par conséquent d’une « convention chrétienne » à laquelle n’importe qui peut assister pour « se faire du bien » ? Le retour en arrière sur les origines de l’Union de prière nous permettra, je le souhaite, de répondre à ces questions, de mieux saisir la nature, la raison d’être, le but de l’Union de prière ; par conséquent d’apprécier plus justement l’opportunité des modifications de structure qui vont nous être proposées.
I.
Pour cela, il nous faut remonter à 45 ans en arrière environ, disons aux années 1924-1925. La France se remet alors lentement de la saignée de la 1ère guerre mondiale : on oublie un peu trop aujourd’hui l’étendue du massacre... Pour s’en convaincre, il suffit de s’arrêter dans tel ou tel village de la montagne ou de la plaine et de se placer devant le monument aux morts : oh ! la liste interminable de ces hommes, de ces; jeunes gens tombés pendant ces 4 années ! La plus humble bourgade en compte parfois plus de 100 ! Et si l’on pénètre un peu dans l’intimité du village, on ne s’étonne plus d’y trouver tant de veuves, tant de femmes célibataires aussi -anciennes fiancées de ceux qui sont morts au front- et ce sont elles qui souvent, constituent l’élite, la partie vivante de la petite Eglise locale, y servant le SEIGNEUR, comme monitrices de l’Ecole du Dimanche, organistes, collectrices, ou visiteuses ...
1925 - Lentement la France relève ses ruines. Après l’effort surhumain de la guerre, on constate chez beaucoup une espèce de lassitude, de relâchement : dans l’euphorie de la victoire, hélas ! précaire, on éprouve le besoin de s’accorder un peu de bon temps.
Les gouvernements successifs n’arrivent pas toujours à réagir et se laissent aller à une politique de facilité, avec parfois de brefs sursauts... Le franc perd sa valeur et il faut le dévaluer –déjà !- des scandales éclatent : Affaire STAVISKY et bien d’autres... (Si bien que l’auteur d’un livre récent sur cette époque a pu donner pour titre à son ouvrage : « Les années difficiles »). Dans ce climat d’après-guerre que devient l’Eglise, et plus particulièrement l’Eglise Réformée de France ?
Rappelons d’abord qu’il y avait non pas une, mais deux Eglises Réformées : a) L’Eglise Réformée Evangélique, comprenant la majorité des paroisses ; b) L’Eglise Réformée de France, dite de Jarnac. Il n’appartient pas à mon propos d’expliquer aujourd’hui l’origine de cette division d’une Eglise Réformée jadis unique. Cela nous entraînerait trop loin.
En Ardèche, -en particulier dans cette région- les paroisses se répartissaient alors à peu près par moitié entre les deux Unions d’Eglises... elles étaient imbriquées les unes dans les autres. Ainsi Charmes et Saint-Laurent sont « Evangéliques », mais Saint-Fortunat est « Réformé » tout court ; Les Ollières : « Evangélique » ; Chalencon : « Réformé » ; Saint-Sauveur : « Evangélique » ; Saint-Pierreville : « Réformé » ; Albon : « Evangélique ». Et pourtant rien d’essentiel, ne les différenciait.
Quel était, en ce temps-là, l’état spirituel du protestantisme ardéchois ? Il est très délicat de répondre à une telle question. Et c’est vrai tout spécialement, quand il s’agit de l’Ardèche. « L’Ardèche, terre ardente », comme dit notre ami BREMOND, par allusion à l’étymologie vraisemblable du nom, « ardesco » = je brûle... Oui, terre ardente, avec ses pierriers de laves volcaniques, ses pentes abruptes grillées au soleil de juillet, mais au-delà desquelles se dissimulent de fraîches vallées, ombragées de châtaigniers»
Le peuple ardéchois est à l’image de son pays : peuple travailleur, persévérant, solide comme le granit de ses montagnes ; peuple discret, mais dont la réserve extrême dissimule une ardeur secrète, tel le feu souterrain des volcans de jadis. Peuple qui, ayant accepté la Réforme et redécouvert par elle l’Evangile, a lutté farouchement pour garder ce trésor et sa liberté ; peuple duquel ont surgi des prophètes, des prophétesses et des martyrs ; peuple mystique, sous son apparente froideur...
En 1925 les paroisses protestantes ardéchoises subissaient, elles aussi, le contre-coup de la Grande guerre, auquel il faut ajouter les séquelles de trois crises importantes :
a) la séparation de l’Eglise et de l’Etat (1905) ;
b) l’offensive de la Libre-Pensée, avec ses incidences politiques ;
c) enfin l’exode rural qui commençait à décimer la population.
Les cultes ne groupaient plus qu’une minorité de protestants de la commune, et ces assemblées dominicales étaient formées en grande majorité de femmes. Le mal était surtout sensible dans les paroisses de la Vallée du Rhône : les hommes -ceux qui avaient échappé à la tuerie de 1914-1918 ne « pratiquaient » plus guère, sauf aux grandes fêtes, et quittaient le Temple avant la SAINTE-CENE. Il y avait des exceptions, certes, mais peu nombreuses.
Au Pouzin, c’était la vieille concierge qui faisait la collecte, faute de Conseiller présent. Dans une paroisse voisine, il n’était pas rare que le pasteur, après avoir ouvert la porte du Temple, attendît vainement ses paroissiens, et repartît au bout d’un moment, en emportant avec la lourde clé, le poids de sa lassitude... S’étonnera-t-on, dès lors, que certains pasteurs se soient découragés ?
Les pasteurs ?... Plusieurs étaient tombés au front, et, chose plus grave encore, sans doute de nombreux étudiants en théologie qui auraient pu assurer la relève... Alors, pour boucher les trous, on fit appel à des Suisses romands ! Et c’est ainsi que, dans la seule Vallée de l’Eyrieux, on trouvait, à Albon, le pasteur A. FROMMEL ; à Saint-Sauveur, M. MERCIER ; à Gluiras, M. DUNANT ; à Saint-Jean-Chambre, M. SPIRO ; au Pouzin, -votre serviteur ! D’autres viendront plus tard, comme M. BREMOND, et j’en oublie, sans doute.
Avouez que c’était une gageure ! Comment ces Suisses, habitués à des Eglises majoritaires... et au confort helvétique, nantis pour la plupart d’un solide accent du terroir... comment allaient-ils pouvoir s’adapter à ces ministères d’un type si différent ? Et comment les protestants ardéchois allaient « admettre » ces étrangers et leur faire confiance ?
Eh ! bien, il faut rendre grâces à DIEU de ce que la chose s’est avérée possible et s’est réalisée effectivement par le secours du SAINT-ESPRIT.
Il faut souligner aussi l’immense privilège qu’a constitué pour ces jeunes pasteurs suisses l’accueil fraternel de leurs collègues français, jeunes également pour la plupart. Je pense ici, entr’autres aux pasteurs René de RICHEMOND, Samuel et Jacques BOST, Jacques DEFFARGES, Pierre BOURGUET ...
Il y avait aussi, à Charmes, un jeune pasteur nommé Louis DALLIERE ; on le disait fort savant : n’était-il pas en train de préparer une thèse de doctorat consacrée à un philosophe américain nommé HOCKING !.. Je vous avoue qu’il m’intimidait beaucoup !... D’ailleurs nous ne le rencontrions pas souvent, car il ne faisait pas partie de la même « pastorale ».
Les pastorales de l’Eyrieux ! Quelle bénédiction que ces rencontres où se concrétisaient et se renforçaient les liens d’affection et de confiance qui s’étaient tissés entre nous ! Sous l’influence de la « Brigade de la Drôme », ces pastorales étaient devenues plus fréquentes : on se réunissait toutes les 3 semaines, tantôt chez l’un tantôt chez l’autre ... chacun apportait son casse-croûte et l’on partageait dans l’étude et la prière en commun, les soucis du ministère, les problèmes de l’éducation religieuse des enfants, de l’affermissement spirituel des chrétiens et l’action morale et sociale de nos Eglises au sein de la population.
Un des premiers fruits de ce travail en équipe fut la rédaction de la « Carte de sentinelle ». Cette carte, soigneusement imprimée, et destinée à être conservée -dans sa Bible par exemple- comportait une douzaine de résolutions pour la vie personnelle, familiale et paroissiale. En voici quelques-unes :
1) « Au matin de chaque jour, je donnerai, en m’éveillant, ma toute première pensée à DIEU, en prononçant une courte prière, ou en récitant un verset de la Bible, ou une strophe de cantique... »
5) « Je ferai chaque jour mon culte personnel ... »
9) « En mémoire de JESUS, je participerai à la SAINTE-CENE toutes les fois que l’occasion m’en sera offerte ».
11) « Je mettrai de côté, pour l’œuvre de DIEU, la dîme (c’est-à-dire le 10% de tout ce que je gagne) ».
12) Je prierai chaque jour pour le Réveil de mon Eglise et pour la venue du Royaume de DIEU. »
Au verso, on lit ceci : « Pour utiliser la carte, il faut choisir pour commencer une ou deux « résolutions » que l’on veut pratiquer. On en inscrit le numéro, on met la date, on signe, et on entreprend fidèlement sa tâche... ».
Les recherches relatives à l’instruction religieuse des enfants aboutiront à l’élaboration d’une nouvelle liste de leçons pour l’Ecole du Dimanche et du Jeudi, la Liste E (Eyrieux !) qui fut, par la suite, utilisée par un grand nombre de paroisses.
Pour la Jeunesse, des « Cours ruraux » furent organisés pendant plusieurs années, à Saint—Sauveur et au Pouzin.
Affligée des ravages de l’alcoolisme, l’équipe pastorale fit appel, pour de vastes campagnes de Croix-bleue, au pasteur Jacques DIENY, à M. Joseph BOUVIER -un buveur relevé-, au docteur LEGRAIN... De petites sections de Croix-bleue se formèrent dans quelques paroisses.
Un peu plus tard, préoccupé par le problème de l’immoralité, le groupe pastoral invite un pasteur de Paris à donner des causeries aux jeunes sur ce sujet, dans les paroisses ...
Il y avait, dans toutes ces activités, de quoi étoffer les rencontres pastorales, alimenter l’intercession commune, et affermir entre les membres de l’équipe les liens d’une amitié virile et fraternelle.
Aussi n’est-il pas surprenant que ces pasteurs, ecclésiastiquement séparés, mais si unis en fait, en soient venus à se préoccuper de l’unité visible de l’Eglise. On ne songeait pas encore, sauf d’une façon abstraite et théorique, à l’œcuménisme (à l’unité avec le catholicisme) ; mais on souffrait du morcellement du protestantisme de l’Ardèche ; on res¬sentait le caractère artificiel et, si j’ose dire, contre-nature de cette division en deux unions d’Eglises différentes, de paroisses spirituellement unes, issues du même tronc, division qui obligeait pasteurs et laïques, -que rien ne séparait-, à se séparer pourtant en 2 synodes régionaux distincts. Alors on s’arrangea de façon que les deux Synodes siégeassent dans deux paroisses contiguës, on organisa un repas commun et l’on échangea même les 2 prédicateurs synodaux.
Cette « contestation » paraît anodine aujourd’hui ; elle n’en contribua pas moins, pour sa part, à acheminer les Eglises désunies vers la restauration de l’Eglise Réformée de France (1938).
Ne vous imaginez pourtant pas, mes frères, que, dans ces pastorales de l’Eyrieux, on était toujours du même avis ! Non, certes ! on discutait ferme, parfois, et notre secrétaire, le pasteur André FROMEL, -ce géant qui semblait porter sur ses épaules un peu voûtées le fardeau de notre commun labeur- nous secouait alors d’importance et interrompait nos discussions pour nous faire mettre à genoux !...
Puisque je parle de ce frère, laissez-moi évoquer aussi la frêle silhouette de Jacqueline FROMMEL, sa femme, et vous recommande, -si vous ne le connaissez pas encore- l’émouvant petit livre qui lui a été consacré et qui est intitulé : « Source cachée ». A travers les lettres de Jacqueline FROMMEL, c’est tout ce passé ardéchois, des années 1924 à 1936 qui réapparaît, ces années au cours desquelles, fréquemment souffrante, Mme FROMMEL n’a cessé de combattre dans la prière pour que la bénédiction d’En-Haut descendît sur nos paroisses assoupies.
Il va sans dire que les femmes des pasteurs étaient invitées aux pastorales et qu’elles prenaient part, dans la mesure du possible, aux entretiens, tout en tricotant chaussons ou brassières...
On se séparait à la nuit tombante et chacun regagnait son presbytère, à bicyclette, par le petit chemin de fer départemental, ou, pour les plus privilégiés, dans une quadrilette Peugeot vétuste qu’on mettait en marche à la manivelle et qui s’éclairait à l’acétylène !... « Puis chacun se remettait au travail.
Mais ces pasteurs se rendaient compte que leurs Eglises avaient besoin d’autre chose encore. Ce qu’il fallait pour les arracher à leur traditionalisme, à leur découragement, à leur repliement sur elles-mêmes, c’était un renouveau spirituel, une effusion du SAINT-ESPRIT, un Réveil, et un Réveil qui commençât par eux, pasteurs !
« Rapprochés d’abord par des liens d’amitié, puis par la cohésion du travail en équipe, les membres du groupe sont d’année en année plus profondément unis par la prière. Ils sont collègues et amis, plus encore, ils sont "frères", ils luttent ensemble, non plus seulement pour le bien de leurs paroisses, mais pour leur propre vie intérieure. L’un après l’autre, ils se sentent repris, humiliés, brisés, leur position théologique est renversée, ils reconnaissent les lacunes de leur ministère ; des failles se révèlent jusque dans les ménages pastoraux. Sur toute la ligne, une révolution se prépare. »
Le Réveil ! On priait pour cela ; on faisait appel à des prédicateurs du dehors : le pasteur Frank THOMAS ; un laïque : M. DENTAN ; un missionnaire : M. H. RUSSILLON. On se groupait aussi à 2 où 3, pour faire des « missions » dans les Eglises. Permettez-moi de rappeler par exemple celle qu’à la demande de notre ami M. DUNANT nous fîmes à Gluiras, M. de RICHEMOND et moi-même. Le dernier soir nous offrîmes à nos paroissiens assemblés dans le vieux Temple, une carte d’engagement, rédigée le jour même et reproduite à la pierre humide. Le Texte très bref, révélera par lui-même la préoccupation qui remplissait alors nos cœurs et orientait notre message.
Le voici :
Sentant ma faiblesse,
Et résolu à servir JESUS-CHRIST,
Je crois que DIEU veut me donner son SAINT-ESPRIT.
Je suis décidé à rompre avec ce qui m’empêche de le recevoir ;
Je veux le demander avec foi, afin d’être un témoin fidèle de JESUS-CHRIST.
Date : Signature :
Entendons-nous bien, mes frères : les pasteurs n’étaient pas seuls à porter ce souci du Réveil et à prier pour sa venue. Ils étaient entourés et soutenus dans chaque paroisse par quelques chrétiens, admirables de fidélité et de dévouement. Eux aussi appelaient de leurs vœux et de leur prière la venue du Renouveau.
II.
« L’ESPRIT souffle où il veut », a dit notre SEIGNEUR. Certes, il est toujours à l’œuvre, mais il passe parfois avec plus de puissance (violence) sur telle contrée, sur tel pays. - En 1905 ce fut le grand Réveil du Pays de Galles (H. BOIS). - Quelques années plus tôt le mouvement de Pentecôte prenait naissance aux Etats-Unis, et ne tardait pas à se propager au loin. Encore inconnu en France, le Pentecôtisme n’allait pas tarder à y pénétrer ; voici comment :
Il y avait au Havre une vieille demoiselle suisse, Mlle BIOLLET. Chrétienne fervente, elle souffrait profondément de la misère morale et spirituelle des dockers que ruinait l’alcoolisme. Que faire pour lutter contre ce fléau et révéler à ses victimes le salut en JESUS-CHRIST ? Mlle BIOLLET décida d’ouvrir sur les quais du port, un café sans alcool, sous l’égide de la Croix bleue.
Il lui fallut obtenir les autorisations administratives. Dans un des bureaux où elle dut se rendre, elle demanda de quelle façon elle pourrait payer le moins de droits possible, car elle n’était pas riche. — « Mademoiselle », lui répondit-on, « si vous voulez payer le minimum, il faut vous inscrire comme gargotière de 7ème catégorie. » - « Eh ! bien, » s’écria-t-elle, « pour l’amour du SEIGNEUR, je serai gargotière de 7ème catégorie ! »
Elle alla de l’avant, ouvrit son café Sans alcool, y accueillit courageusement, elle cultivée, distinguée, les dockers, les victimes de la boisson ... et leur annonça JESUS-CHRIST. Rude travail, vous vous en doutez ! Avec bien des déceptions, des déboires, mais poursuivi avec persévérance et porté par une incessante prière.
La réponse à cette prière ? Oh ! que les voies de DIEU sont surprenantes, mes frères ! Un jour débarque au Havre un jeune évangéliste anglais. Il compte poursuivre son voyage jusqu’au Congo où il se sent appelé à être missionnaire. - Mlle BIOLLET le rencontre, lui parle de son œuvre, lui demande instamment de l’aider, au moins pendant quelque temps. Et Douglas SCOTT -car c’était lui- discerne la voix du SEIGNEUR à travers l’appel de la vieille demoiselle. Le ministère au Congo n’est pas abandonné, mais ce sera pour plus tard. - D. SCOTT parle très mal le français ; il ignore tout du milieu où DIEU l’appelle à travailler ... Et le miracle se produit ... les auditoires augmentent, il y a des conversions, des vies changées, des guérisons.
Passant au Havre quelque temps après, j’y rencontrai le pasteur GALLICE, responsable de l’Assemblée de Pentecôte ; il me proposa d’assister le soir, -un soir de semaine-, à la réunion de prière. Il pleuvait... Combien de fidèles cette réunion allait-elle grouper ? ... Une dizaine peut-être ? Imaginez ma stupéfaction en arrivant dans une vaste salle bondée !! A peine la réunion commencée, ce furent de multiples prières, des chants, des langues ... un vrai feu d’artifice ! - Mais M. GALLICE n’est pas satisfait : tapant sur son pupitre, il s’écrie : « Qu’y a-t-il ce soir ? On dort ! » Qu’eût-ce été s’ils avaient été réveillés !!
A l’issue de la réunion, on vient à moi, on me serre la main ... « Frère, depuis combien de temps connaissez-vous le SEIGNEUR ? » « Euh ! depuis mon enfance. » - « Eh ! bien, moi, il y a 15 jours ! » - « Et moi, depuis quatre semaines ! ... » - Ah ! cette joie, cet enthousiasme, cette fraîcheur ! Oh! Si ce mouvement pouvait passer comme une vague puissante sur la France entière ... quel merveilleux Réveil !
Récemment arrivé à Privas comme pasteur de la petite Eglise libre, le pasteur Samuel DELATTRE, grand-père du pasteur S. BONNET, était à l’affût de tout ce qui pourrait sortir ses paroissiens de leur somnolence. Il entend parler du mouvement du Havre, et fait venir M. SCOTT en Ardèche.
C’est au Pouzin qu’eut lieu la première réunion. Elle me laissa, je l’avoue, un lourd malaise en raison de certaines des méthodes de M. SCOTT. En revanche, l’ayant conduit auprès d’une malade gravement atteinte, je fus édifié par le tact et l’autorité spirituelle dont il fit preuve envers elle. Comme nous passions, au retour, sur la passe¬relle qui franchit l’Ouvèze, M. SCOTT me demanda : « Monsieur le pasteur, y a-t-il, dans ce rivière, assez d’eau pour les Baptêmes ? » - Je ne pus m’empêcher de sourire intérieurement ... Des Baptêmes par immersion, en Ardèche ! Eh ! bien, mon ami, tu peux toujours attendre !! Le Réveil, oui ! Le Baptême ... non, pas ça ! ce serait la voie de garage ... le début de la secte !
Mais cette réunion du Pouzin n’était qu’un prélude. C’est à Privas que devait avoir lieu là « mission » prévue. Bien vite la chapelle de l’Eglise libre se trouva pleine à craquer ; on y venait de partout. Accompagné à l’harmonium par sa femme, SCOTT entraînait le chant avec son violon. Ses messages étaient simples, directs, concrets, et n’excluaient pas l’humour. On chantait beaucoup, dans une atmosphère de joie extraordinaire, mais sans excitation morbide ... Il y eut peu ou pas de guérisons, mais des conversions, des vies changées ...
Un soir que la Chapelle était devenue décidément trop petite, quelqu’un cria : « Au Temple ! » Et la foule enthousiaste gravit la rue qui mène au sanctuaire réformé. On n’eut pas besoin d’enfoncer la porte. En effet, le pasteur de l’Eglise Réformée de France, M. Frank POULAIN, était un homme de Réveil, un esprit large, bienveillant, compréhensif. Tout se passa donc sans accroc.
Il va sans dire que des réactions plus ou moins vives ne tardèrent pas à se produire. Dans l’ensemble, les pasteurs du voisinage furent sympathiques au mouvement ; plusieurs de leurs paroissiens en avaient reçu de réelles bénédictions. - Parmi les laïques fidèles, certains se montraient réticents, redoutant surtout que ce mouvement, étrange par certains côtés, ne provoquât de nouvelles divisions au sein du protestantisme ardéchois.
Une autre opposition, douloureuse, vint de la Brigade de la Drôme. Alors que M. SCOTT était à Privas, logeant chez le pasteur DELATTRE, quelqu’un lui apporta un numéro du « Matin vient », qui contenait une vive critique. « Tenez, Monsieur SCOTT, lisez ce qu’ils disent de vous ! » - SCOTT prend le journal, le déchire sans l’ouvrir et s’écrie avec un bon sourire : « Que DIEU les bénisse ! »
Une grande réunion pastorale régionale fut convoquée à Privas. Plusieurs « brigadiers », y participaient. La discussion demeura courtoise et fraternelle. Je me rappelle ma surprise en entendant M. DALLIERE, notre théologien ardéchois, soutenir les thèses de M. SCOTT et rompre une lance en faveur du parler en langues.(1932)... Déjà !
Il me faudrait plus de temps que je n’en ai pour retracer l’expansion du mouvement. Notons, seulement qu’en Ardèche le Pentecôtisme ne forma pas de dissidences ... mais, en raison sans doute de l’accueil qu’elles lui avaient fait, plusieurs des paroisses en reçurent un nouvel élan. Les réunions de prière devinrent plus fréquentes et plus nombreuses. A Gluiras, Chalencon, Saint-Fortunat, Charmes, s’organisa une réunion hebdomadaire appelée « la Communion ». En effet, la SAINTE-CENE y était célébrée chaque fois. On y priait librement et les dons spirituels s’y manifestaient. A Charmes, on venait à cette réunion de Privas, du Pouzin, d’ailleurs encore
Jusqu’au jour où le pasteur DALLIERE décida de la supprimer. Comme je m’en étonnais auprès le lui, il me répondit : Bien que ces réunions soient publiques, annoncées au Temple, ouvertes à tous, elles créent, en fait, une scission dans la paroisse ... Il y a, en réalité, deux Saintes-Cènes, celle du Temple et celle de la réunion. Cela ne doit pas être. Il ne faut pas que le Réveil divise l’Eglise (3ème sujet de prière de la Charte !).
Mais vous ne serez pas surpris, mes frères, que la principale pierre d’achoppement ait été le Baptême. Pierre d’achoppement pour les protestants ardéchois, certes, mais aussi et d’abord pour leurs pasteurs ! Comment, peu à peu, l’obligation d’accepter personnellement le Baptême par immersion s’est imposée à la plupart d’entre nous, alors qu’au début nous étions, convaincus qu’il s’agissait d’un à côté, d’une particularité tenant au fait que M. SCOTT venait sans doute d’un milieu baptiste, ce n’est qu’au plan du témoignage personnel qu’il est possible d’en rendre compte. Car, quoi qu’on en ait pensé, il n’y a pas eu, chez les pasteurs en question, un entraînement collectif, une pression des uns sur les autres. C’est une contrainte de l’ESPRIT qui nous a menés là où nous ne voulions pas aller. (Jean 21/18).
Mon frère, M. de RICHEMOND vous dira, s’il le juge bon, comment les choses se sont passées pour lui. En ce qui me concerne, ce n’est pas au plan théologique que ce Baptême s’est imposé à moi, mais comme une exigence d’ordre spirituel, comme l’acceptation de la mort avec CHRIST, quelles qu’en pussent être les conséquences. J’ai beaucoup hésité à cause de mon Baptême d’enfant. Mes parents étaient des chrétiens ; j’avais été baptisé par mon grand-père, un vénéré serviteur de DIEU... Demander un nouveau Baptême, n’était-ce pas renier mon Baptême d’enfant, mépriser cet acte sacré ? Le SEIGNEUR me fit comprendre qu’il ne s’agissait nullement d’un reniement de mon Baptême d’enfant, mais d’un complément, d’un approfondissement, d’un achèvement de ce Baptême, dans le sens de Romains 6.
J’arrive, mes frères, au terme de cette petite étude historique.
En 1936 un appel pressant m’était adressé en vue d’occuper le poste pastoral de Longwy. Quitter l’Ardèche et cette équipe fraternelle de pasteurs ou tant de recherches, tant de luttes communes, tant d’heures de prière, nous avaient soudés les uns aux autres ... Etait-ce vraiment la volonté do DIEU ? A la fin d’une journée entière passée ici, à Charmes, à rechercher ensemble la lumière, il fallut se rendre à l’évidence : c’était bien du SEIGNEUR que venait l’ordre de marche ! Il fallait obéir.
C’est donc maintenant notre frère M. de RICHEMOND qui va poursuivre ce récit. Mais d’ores et déjà certains linéaments de ce que sera l’Union de prière apparaissent comme en filigrane à travers les événements que j’ai essayés d’évoquer. On les verra se préciser peu à peu et prendre corps dans ce qui sera la Charte de l’Union de prière.
- Ces linéaments, ces 1ers bourgeons, si je puis dire :
1°) C’est d’abord la soif du Réveil (1er sujet de prière de la Charte).
2°) C’est ensuite le souci de l’unité visible de l’Eglise.
3°) C’est aussi, par conséquent, le refus de toute dissidence, la fidélité à l’Eglise Réformée de France.
4°) C’est encore l’enracinement dans une terre, le souci d’éviter tout spiritualisme flottant et désincarné.
5°) C’est l’ouverture aux dons spirituels se manifestant dans l’Eglise instituée et dans le respect des structures ecclésiales.
6°) Enfin, c’est le retour au Baptême des croyants par immersion, compris non à la manière de nos frères baptistes, mais comme un acte de consécration personnelle nullement destructeur d’un Baptême reçu dans l’enfance.
Tout cela allait mûrir et se préciser par la suite avec bien d’autres choses, comme notre frère va vous le montrer maintenant.
II.- EXPOSE DE M. DE RICHEMOND
Ps. 33/l1 : « Les desseins de l’ETERNEL subsistent à toujours et les projets de son cœur de génération en génération ».
Luc 7/29-3O : « Tout le peuple qui a entendu JEAN-BAPTISTE et même les publicains ont justifié DIEU en se faisant baptiser du Baptême de JEAN ; mais les pharisiens et les docteurs de la loi, en ne se faisant pas baptiser par lui, ont rendu nul à leur égard le dessein de DIEU. »
Il y a pour chacun de nous un dessein de DIEU. Ce dessein ne nous est pas connu d’avance. Mais DIEU nous le révèle au fur et a mesure, non par des explications, mais en plaçant devant nous des actes d’obéissance à accomplir. Les uns après les autres, des pas sont placés devant nous. Notre liberté consiste dans le choix : faire le pas que DIEU nous demande -même sans en comprendre le but- et alors le dessein de DIEU s’accomplit par et pour nous, -ou bien nous refusons le pas et nous rendons nul à notre égard le dessein de DIEU.
Lorsque, le 9 avril 1934, j’ai fait, dans la crainte et le tremblement, et sans comprendre pourquoi, mais dans la certitude d’obéir à un ordre de DIEU, le pas qui consistait à être plongé dans l’eau (comme nos sœurs cet après-midi), la seule lumière sur mon chemin, c’était que cette obéissance me préservait de « rendre nul à mon égard le dessein de DIEU. » Je ne pouvais voir ce qui en résulterait, mais il fallait obéir.
Il y a un dessein de DIEU pour l’Union de prière. Mais les hommes ne peuvent discerner, d’avance le dessein de DIEU pour eux. La foi consiste à avancer sans voir d’avance, à faire un pas après l’autre, dans l’obéissance, dans l’espérance, afin de ne pas rendre nul à leur égard le dessein de DIEU.
Nous sommes donc dans les années 1934-1936. Quel sera le dessein de DIEU pour le Réveil de l’Ardèche ?
Disons que le 1er pas, après avoir accepté l’immersion, apportée par nos frères du mouvement de Pentecôte, et pratiquée librement par beaucoup de pasteurs et de fidèles, fut de surmonter une tentation. Ayant tellement reçu de grands serviteurs de DIEU tels que Douglas SCOTT, Donald GEE ou Georges JEFFREYS, il semblait naturel de faire comme eux, de fonder un nouveau mouvement, une construction nouvelle. Il en est qui conseillaient de sortir de ce système ecclésiastique sclérosé, de ces Eglises Réformées qui regardaient avec méfiance, voire avec hostilité, ces pasteurs pentecôtisants. Tentation rendue d’autant plus forte que précisément certaines autorités ecclésiastiques faisaient tout pour « pousser dehors » ces pasteurs.
Ainsi un Synode national prit une décision obligeant les pasteurs à baptiser tous les enfants. Si bien que M. DALLIERE fut obligé en conscience de remettre sa démission de pasteur de Charmes. Démission que le Conseil presbytéral refusa d’accepter, ce qui ne facilita pas les choses pour les autorités de l’Eglise, mais les contraignit à tolérer provisoirement, non seulement le ministère de M. DALLIERE, mais, avec lui, le ministère des autres pasteurs engagés dans cette voie. Notons, si vous le permettez, que M. DALLIERE restera jusqu’en 1951 (14 ou 15 ans !) dans cette position instable d’être un pasteur « toléré ». Sa lettre de démission était restée entre les mains du Conseil presbytéral qui aurait pu la mettre à exécution d’un jour à l’autre, s’il l’avait jugé bon.
Pourquoi ? Parce qu’il ne baptisait plus les petits enfants, mais les présentait dans l’Eglise, comme on l’a fait ce matin ici-même, en vue d’un Baptême qu’ils demanderaient dans la foi après instruction religieuse. Or c’était un scandale intolérable dans les Eglises de la Réforme, où, depuis LUTHER et CALVIN tous ceux qui professaient que le Baptême doit être demandé et reçu dans la foi, s’étaient séparés de l’Eglise, de gré ou de force, et avaient formé des groupes de professants, indépendants, anabaptistes, mennonites, baptistes -et maintenant pentecôtistes. Etait-il possible, dans des Eglises multitudinistes comme celles de la Réforme, de tolérer des pratiques d’Eglises de professants ? Dans ces conditions, le dessein de DIEU n’était-il pas que le Réveil s’organisât librement en dehors de la lourde structure des Eglises ?
Ce fut une tentation. Mais un premier événement, un grand événement, évita le durcissement des positions ecclésiastiques. Parallèlement à l’explosion du Réveil, se poursuivait à travers la France protestante le mouvement vers l’unité. En 1938, naquit l’Eglise Réformée de France qui devait unir toutes les paroisses protestantes de l’Ardèche, jusqu’alors dispersées dans 2 unions d’Eglise. De toutes les paroisses où le Réveil s’était répandu, seule celle de Chalencon resta indépendante (elle devait le rester jusqu’en 1953-54). Dans les quelques années qui précédèrent cette fondation de l’Eglise Réformée Unie, les dirigeants des anciennes Églises Réformées et Réformées Evangéliques, furent d’accord pour laisser le soin de résoudre le problème des pasteurs qui ne baptisaient pas les enfants, à l’autorité de la nouvelle Eglise Unie. Ce fut une des premières tâches du Nouveau Conseil national. Nommé en 1938 président de ce Conseil national, le pasteur Marc BOEGNER vint personnellement dès février 1939 visiter la plupart des pasteurs engagés dans le Réveil. Et au printemps 1939 plusieurs de ces pasteurs furent appelés à comparaître devant le Conseil national.
Laissez-moi glisser ici une anecdote. Environ un mois ou deux avant cette comparution, nous avions été invités, M. DALLIERE et moi, par le pasteur Pierre MAURY à venir le voir, à son passage à Valence, entre 2 trains. Pierre MAURY était alors pasteur à Paris, mais n’avait encore aucune fonction dans les autorités de l’Eglise. Pour M. DALLIERE comme pour moi, c’était simplement un ami de vieille date. Assis à la table d’un café, pendant 1/2 heure, avec sa fraternelle affection, mais avec une vigoureuse énergie, il nous « savonna la tête », nous affirmant que nous nous trompions radicalement, que nous étions dans une voie fausse, etc... Nous sommes revenus, M. DALLIERE avec une bonne migraine, et moi avec des sentiments très peu reconnaissants pour cette mercuriale, si affectueuse fût-elle !
Or vint le moment de comparaître devant le Conseil national. Qu’allait-il se passer ? Nous voici rue de Clichy. A mon grand étonnement, je vois, entrer, avec les membres du Conseil national, notre ami Pierre MAURY. Que venait-il faire ? Le président BOEGNER ouvre la séance et nous déclare : « Je me suis permis d’inviter à cette séance le pasteur Pierre MAURY qui vient d’avoir des entretiens approfondis avec le professeur Karl BARTH et il ne sera sans doute pas inutile, pour apporter de la lumière sur les questions qui nous occupent, d’entendre l’opinion de cet éminent théologien. »
Et voilà qu’à notre grande stupéfaction, M. MAURY se met à développer la pensée de Karl BARTH, sur la nécessité de réviser les conceptions traditionnelles sur le Baptême des « bébés » valables tant que la « chrétienté » existait, mais qui ne s’appliquaient plus à une Eglise appelée à confesser sa foi au milieu d’un monde déchristianisé et en plein désarroi (nous étions en 1939, à quelques mois du début de la seconde guerre mondiale).
Inutile de vous dire que cette intervention inattendue fut d’un grand poids dans la décision prise par le Conseil national, de ne pas précipiter les choses, de nommer une Commission de théologiens chargés d’étudier la doctrine, la pratique et la discipline du Baptême, et, en attendant, de continuer à tolérer les pasteurs engagés dans cette voie si contestée.
Cette commission théologique, nommée dès ce moment -et dont M. DALLIERE faisait partie,- ne put commencer ses travaux qu’après la guerre. Et cette longue pause permit à coup sûr une détente des esprits.
Voici donc la guerre ... Dans les mois qui l’ont précédée, maintes fois, dans des réunions de prière, des messages prophétiques ont annoncé l’approche d’un temps de mort qu’il fallait accepter ; certains de ces messages parlaient même de « temps de famine » (ce qui semblait fort étrange à l’époque...). Si bien que, lorsque la mobilisation appelle sous les drapeaux en Septembre 1939 M. DALLIERE, M. ELDIN, M. BOST, alors président du Consistoire de l’Eyrieux, et beaucoup de Conseillers presbytéraux, nous comprenons que ce « temps de mort » du Réveil, annoncé prophétiquement, est arrivé. En temps de guerre on ne construit pas, -c’est le temps de la patiente persévérance, de l’attente. Le dessein de DIEU est bien voilé...
Pourtant dans cette nuit, il y a parfois des clartés. Je voudrais citer en particulier un événement. Depuis la débâcle de 1940, le président Marc BOEGNER, infatigablement, parcourt les régions synodales dans la zone non occupée. En 1941, il organise une rencontre pastorale, qui réunit, à Saint-Laurent-du-pape, tous les pasteurs de l’Ardèche. Il a demandé à cette occasion à M. DALLIERE une étude théologique sur un problème qui préoccupe, à cette époque, tous les esprits : c’est le problème juif. En effet, les persécutions hitlériennes ont provoqué un afflux de Juifs qui se réfugient dans nos campagnes reculées. M. DALLIERE va commenter Romains ch. 9 à 11. Cette étude a été pour la plupart de ceux qui l’ont entendue, une révélation. Et elle est à l’origine de ce qui sera plus tard le second sujet de prière de l’Union de prière.
Et voici 1944, 1945, la guerre est finie. On reprend contact avec les prisonniers. A Charmes, le retour de captivité de M. ELDIN est une vraie résurrection. Dans la vallée de l’Eyrieux le Consistoire a pris conscience de son unité, mais il ressent lourdement le fossé qui le sépare de la paroisse de Chalencon, qui est restée à l’écart non seulement de l’Eglise Réformée, mais aussi du mouvement de Charmes.
Le pas nouveau que M. DALLIERE va devoir faire, c’est la fondation de l’Union de prière. Je vous rappelle le § 1 de la Charte : « L’Union de prière est l’épanouissement, après les années de guerre, du Réveil prêché à Charmes avant le 3 septembre 1939. »
« Réveil prêché à Charmes »...
M. SCHAERER et moi-même nous vous avons parlé jusqu’ici du « Réveil de l’Ardèche ». Mais il est important de bien faire remarquer que c’est dans la mesure où les pasteurs et les paroisses touchés par le Réveil avant la guerre, se sont regroupés autour de M. DALLIERE et l’ont suivi, que l’Union de prière s’est développée dans la voie étroite et difficile de la fidélité à l’Eglise Réformée de France. Ce fut là, pour elle, le dessein de DIEU.
C’était bien autour de la personne de M. DALLIERE et de la paroisse de Charmes que l’Union de prière a pris naissance. Témoin, le texte de la toute première Charte :
§ 1 — L’Union de prière de l’Eglise Réformée de Charmes est une société de personnes... etc.
§ 2 - L’Union de prière a été fondée en janvier 1946 par le pasteur de l’Eglise Réformée de Charmes.
A l’origine donc il y a Monsieur et Madame DALLIERE et leurs collaborateurs immédiats dans la paroisse et dans l’embryon d’école, -qui deviendra bientôt étroitement solidaire de l’Union de prière : le Cours ISAAC-HOMEL. Vers le même temps l’usine désaffectée de Boissier, achetée et donnée à l’Eglise Réformée de France, était mise à la disposition de M. DALLIERE. C’est là qu’au début de septembre 1947, il invite quelques pasteurs déjà engagés avec lui dans l’Union de prière à former un premier directoire.
Désormais le texte de la Charte s’exprime différemment :
« L’Union de prière est un ordre dans lequel on s’enrôle par vocation. Son centre est à Charmes.
« Elle est dirigée par M. Louis DALLIERE, assisté par les serviteurs de DIEU engagés dans l’Union de prière et notamment MM. Philippe BLANC, Marc ELDIN, René de RICHEMOND, Thomas ROBERTS, Lucien SCHNEIDER, Jacques SERR. »
Ajoutons qu’à ce 1er directoire se joignit, en 1953, M. Henri SCHAERER, puis, en 1959, MM. Roger BELMONT, Arnold BREMOND et Paul DUNANT. Depuis lors, en 1962, notre cher Marc ELDIN, l’un des plus jeunes et des plus vigoureux parmi nous, a été rappelé à DIEU.
Il serait très intéressant, si nous en avions le temps et la possibilité, de faire un vrai historique de l’Union de prière en retraçant sommairement chacune des Retraites qui vont se succéder d’année en année, avec l’apport des riches études de théologie savoureuse et de vie spirituelle. En 1947 ces études concernent le Retour de JESUS. En 1948, la Prière ; en 1949, la vie de Communauté ; en 1950, la mort, l’Eglise du ciel, la Vierge MARIE ; en 1951, les Sacrements en vue du Retour de JESUS ; en 1953, la Résurrection, la Tribulation, l’Espérance - et une nouvelle rédaction de la Charte ... etc.
Mais je ne sais pas faire de l’histoire en historien (m’en pardonne M. LOVSKY !), c’est pourquoi, essayant de rappeler plutôt quelques points de repère, pour nous aider à comprendre le dessein de DIEU pour l’Union de prière, je vais m’arrêter un moment à un événement qui devait être capital pour elle : il s’agit du Synode national de l’Eglise Réformée réuni en mai 1951 au Chambon s/Lignon.
La Commission de théologiens dont nous avons parlé tout-à-l’heure, depuis la fin de la guerre, s’était réunie à plusieurs reprises. Elle avait remis ses conclusions au Conseil national et l’Eglise Réformée décida de consacrer toute une session du Synode national, son instance suprême, à la question controversée du Baptême. Chaque Synode Régional avait eu à en délibérer l’année précédente. Laissez-moi vous lire un extrait du compte-rendu de ce synode publié par le journal Réveil en juin 1951 :
« Pendant trois jours, sous la souriante et ferme direction du Modérateur, le pasteur Pierre BOURGUET, se sont déroulés des débats d’une très haute tenue, dans une atmosphère étonnamment loyale, où nul ne se sentait opprimé, et où les points de vue les plus opposés ont pu s’exprimer clairement et complètement, dans la vérité et dans la charité. La charpente de tout ce travail, c’était l’ordre du jour qui servait de conclusion au très beau rapport du pasteur Pierre GAGNIER (l’actuel directeur du Collège Cévenol). Ce rapport, ainsi que l’intervention du pasteur DALLIERE au seuil de la discussion générale, formaient comme les 2 éléments de hase qui ont soutenu tout l’entretien. Le premier, après avoir défini la doctrine du Baptême dans des termes d’une profondeur, d’une clarté et d’une richesse telles que ce fut bien un des sommets spirituels de ce synode, a exposé avec beaucoup de netteté les résultats des travaux des synodes régionaux, favorables, dans leur majorité, au maintien de la pratique traditionnelle. Le second, dans un puissant témoignage, a montré le sens actuel de la position qu’il a prise à l’égard du Baptême.
Après ce double travail fondamental, de nombreux délégués, pasteurs et laïques ont apporté suggestions, remarques, témoignages, propositions, à travers lesquels se révélait le profond souci, commun à tous, d’être fidèle à la volonté de DIEU pour la vie de l’Eglise. De nombreux votes ont été émis, sur chacun des paragraphes du long ordre du jour, aussi bien que sur l’ensemble ; il est important de noter que ces votes ont été pris à de très larges majorités, qui excluent tout équivoque possible : l’Eglise Réformée a ainsi nettement proclamé : qu’elle reste fidèlement attachée à la pratique du Baptême des petits enfants, mais qu’elle considère comme parfaitement légitime que ce sacrement ne soit conféré que plus tard, sur la demande, personnelle du candidat, après instruction religieuse. Elle a consacré la légitimité de cette pratique en décidant la création d’une cérémonie de bénédiction des petits enfants non baptisés. Cette cérémonie n’est pas le Baptême, mais introduit l’enfant dans l’Eglise en vue de son Baptême ultérieur. »
Ce que ce compte-rendu ne dit pas -et qui fut pour moi un des points culminants de ce synode- je vais vous le faire revivre en vous lisant un passage du compte-rendu sténographié du synode. C’était le dimanche soir, vers onze heures, et, la fatigue aidant, les interventions, propositions d’amendements, etc. commençaient à embrouiller la discussion qui devenait confuse. Alors le Modérateur, M. BOURGUET, intervient :
« Eh ! bien, Messieurs, nous sommes dans la position de mineurs qui sont obligés de remuer beaucoup de terre avant de retrouver le filon. Je vous propose de vous prononcer sur le principe de l’admission d’une cérémonie de présentation, mais de ne pas le faire immédiatement. Je vous propose, non une interruption de séance proprement dite, mais, comme le font nos amis quakers, -ce qui leur réussit parfaitement-, d’avoir 2 ou 3 minutes de silence, à notre place, de recueillement, de réflexion. Après quoi, je demanderai au Synode de se prononcer, ... sur le sentiment qu’il a -ou qu’il n’aurait pas- qu’à coté du Baptême des enfants, l’Eglise Réformée de France pusse accepter qu’il y ait une cérémonie de présentation ou de bénédiction.
Le Synode est-il d’accord ? - (Réponses nombreuses) : Oui.
- Alors restons tranquilles pendant 2 ou 3 minutes à notre place. Puis, je mettrai aux voix la décision. - (2 minutes de silence).
- Le Synode désire-t-il être consulté maintenant sur le principe d’une cérémonie éventuelle de présentation ? – Vote : Unanimité - 1 avis contraire.
Le Synode émet alors un vote sur le principe de l’introduction dans l’Eglise Réformée de France, à côté du Baptême, de la présentation.- Ce vote est acquis par 59 oui, 12 non, 10 abstentions, soit 72 1/2 %.
Pardonnez-moi d’avoir fait dans cet exposé une si large place au Synode du Chambon. Il marque dans l’histoire de l’Union de prière un moment décisif. Désormais l’Union de prière ne sera plus clandestine. M. DALLIERE n’est plus « toléré » seulement, mais il a, -et avec lui l’Union de prière,- sa place légitime dans l’Eglise. Réformée.
Dans la période de 11 années qui s’écoulera de 1951 à 1962, je ne puis noter que quelques points. Les retraites ont eu lieu chaque année ; toujours régulièrement suivies.
En 1958, fut élaborée et présentée à DIEU, la « Prière consti¬tutive » qui est un document de base de l’Union de prière, dont elle précise le but, la vie et l’orientation. Je cite un ou 2 passages de cette prière :
« Nous te demandons, DIEU 3 fois saint, que l’Union de prière soit une communauté enracinée dans l’Eglise Réformée de France.
« ... Nous te demandons que dans une fidélité loyale et sans arrière-pensée à l’Eglise Réformée, l’Union de prière soit ouverte à un resourcement dans la Parole de DIEU et dans une théologie savoureuse, des vérités qui nous sont rappelées par les Eglises traditionalistes de Rome, d’Orient, d’Angleterre, ou par le Luthéranisme. »
En ce qui concerne l’ouverture aux vérités rappelées par les Eglises traditionnelles d’Orient, l’exaucement m’apparaît avoir été le voyage en Russie de MM. Arnold BREMOND et Jacques SERR, en 1960, voyage qui ouvrit les esprits et les cœurs d’un très grand nombre des membres de l’Union de prière à la piété des Eglises orthodoxes.
Il faut encore, avant de nous arrêter à l’année 1962, mentionner que la vie de toute l’Union de prière s’est manifestée, bien entendu par les Retraites, mais aussi par des réunions trimestrielles, et par un Culte matinal quotidien, célébré à Charmes. Depuis 1958, un Livret quotidien fournissait chaque jour un texte de prière, puisé à des sources très variées. Tout cela mériterait de plus longs développements que je suis incapable de vous donner.
Mais voici l’année 1962. C’est une année cruciale. Jusqu’alors, d’étape en étape, le dessein de DIEU s’est révélé, à travers des difficultés surmontées l’une après l’autre, dans une croissance paisible et solide. L’Union de prière vit dans l’Eglise Réformée, par le fait même que M. DALLIERE est pasteur de l’Eglise de Charmes, et que son ministère est reconnu, respecté de tous. Mais en 1962, M. DALLIERE a 65 ans : c’est l’âge de la retraite. L’Eglise Réformée met à sa disposition la maison de Boissier, mais quels vont être les rapports entre l’Union de prière et l’Eglise, puisque M. DALLIERE n’est plus pasteur en activité ?
A vrai dire, la complexité du problème n’est apparue à personne à cette époque, car d’autres événements viennent frapper l’Union de prière. La maladie -l’horrible et impitoyable cancer- frappe, et avec elle, la mort. En l’espace de 3 mois, c’est d’abord Mme Raymond DELORD, puis Mme DALLIERE, enfin le pasteur Marc ELDIN. Quel est le mystérieux dessein de DIEU dans cette nuit obscure ? Bien plus : au début de 1963 une très grave crise cardiaque va conduire M. DALLIERE aux portes de la mort.
Comment discerner alors la volonté de DIEU ? Quel est le chemin à suivre ? S’il plaît à DIEU de rappeler à lui son serviteur, que deviendra l’Union de prière ?
Certes, cette éventualité a été envisagée, dès le début. Dans la toute première édition de la Charte, en janvier 1946 nous lisons, au dernier paragraphe (§ 132) : « Si le directeur de l’Union de prière vient à mourir, l’œuvre sera dissoute de ce fait. Elle ne laissera pas de succession à régler puisqu’elle ne possède pas de biens et que, au surplus, le directeur n’entend donner aucune instruction quelconque sur ce que l’on devrait faire après sa disparition ... ».
Dans la 2ème édition de la Charte, en 1951, aucune autre stipulation ne figure à cet égard. - Dans la 3ème édition, celle de 1953, le dernier paragraphe (§ 132) dit ceci : « Au cas où le pasteur qui dirige l’Union de prière se trouverait dans l’incapacité de remplir ses fonctions, les autres pasteurs du directoire auraient collectivement tous pouvoirs pour prendre les mesures qu’ils jugeraient bonnes et nécessaires. »
Je ne m’étendrai pas sur les difficultés et les hésitations au sein du directoire. Les § 79 et 80 de la Charte de 1966 sont l’écho de ces tâtonnements en vue de définir les liens entre l’Union de prière et l’Eglise Réformée depuis que M. DALLIERE n’est plus pasteur de Charmes. Lui-même nous en parlera plus en détail au cours de cette Retraite.
Mais ce qu’il faut souligner, c’est ceci. En 1962, en 1963, nous avons pu croire -et, je dois le dire, pour ce qui me concerne,- nous avons pu accepter que le dessein de DIEU pouvait bien être la disparition de l’Union de prière. Ayant accompli l’œuvre pour laquelle elle avait été créée, ayant vu sur de nombreux points des signes de l’exaucement de ses prières pour le Réveil, pour Israël, pour l’unité visible de l’Eglise, le dessein de DIEU pouvait bien être que l’Union de prière cessât d’exister comme telle. Les circonstances, notre propre vieillissement nous incitaient à envisager cette éventualité comme parfaitement possible.
Mais d’un autre coté, il est indéniable que nous avons assisté aussi, surtout depuis 2 ou 3 ans, à un affermissement et à un approfondissement très nets de la vie des membres de l’Union de prière. Les dernières Retraites ont été particulièrement bénies. Les membres de l’Union de prière ont de mieux en mieux pris conscience de leurs responsabilités. Les réunions mensuelles de continuation ont été bonnes, riches de vie et de prière. Des groupes de prière se sont créés et développés dans divers endroits. La réunion du samedi matin s’est tenue fidèlement dans la Chapelle de Boissier. Une toute petite réunion journalière a soutenu et pour ainsi dire porté la vie de toute l’Union de prière.
Il y a quelques années on entendait souvent M. DALLIERE dire : « L’Union de prière, si elle existe ... ». Il ne le dit plus, car c’est un fait que l’Union de prière existe réellement. Dès lors nous avançons -sans savoir encore où DIEU veut nous conduire. Y a-t-il un avenir, pour l’Union de prière ? DIEU le sait ; nous l’ignorons . Mais nous savons qu’il y a devant nous, dans cette Retraite, un pas à faire. Nous ignorons le dessein de DIEU, mais nous ne voulons pas le rendre nul à notre égard en ne faisant pas ce qu’il nous demande aujourd’hui, même si nous ne le comprenons pas bien.
Nous avons jeté un coup d’œil sur le chemin écoulé, au cours duquel la bonne main de notre DIEU a été sur nous. Jusqu’ici l’ETERNEL nous a secourus. Nous ne voulons pas maintenant sonder l’avenir, mais comme le dit le cantique que je vous invite à chanter, en terminant :
« Pourquoi vouloir sonder, comme autrefois, L’avenir ? non : un seul pas à la fois ».
"Source cachée", p. 106. Nous ne faisons pas de prospective !